Les
professeurs de classes préparatoires ne naissent pas dans les roses ni les professeurs
de ZEP dans les choux. La tactique classe contre classe, “pauvres” contre
“nantis”, relève d’une représentation purement idéologique. Comme à l'armée, la
fonction prime le grade, des agrégés enseignent couramment en 6ème, des certifiés
en Terminale. Un agrégé enseigne parfois en ZEP avant de devenir professeur de
classes préparatoires. Loin d’être opposés, les deux métiers sont liés l’un à
l’autre. Les auteurs de cette tribune en fournissent une preuve en forme de
clin d’œil, puisqu’ils seraient l’un « pauvre », l’autre
« riche », mais qu’ils vivent par bonheur sous la communauté de
biens, ce qui simplifie grandement la question.
En prétendant redistribuer 10 à 20% du
traitement de certains professeurs de classes préparatoires à ceux de ZEP, le
projet Peillon établit faussement un lien de cause à effet entre la situation
financière de ces professeurs, réputée plus confortable, et celle, très
dégradée, des professeurs de ZEP. Il s’agit en fait d’organiser, pour répondre dans
la panique à la chute de la France dans le classement PISA, une « flexi-insécurité »
des enseignants du supérieur sans donner le moindre gage d’amélioration réelle aux
professeurs de collèges difficiles. Monsieur Peillon balaie
toute objection d’un argument indépassable : « les gens qui
choisissent ce métier ne le choisissent pas d’abord pour l’argent ».
L’égalitarisme théorique qui préside à cette
réforme est une impasse, la revalorisation qu'elle propose une humiliation pour
tous. Ce décret organise l’impossibilité de l'attractivité verticale pour les
professeurs, avec la complicité de syndicats d’enseignants qui, bloqués sur un
égalitarisme d’un autre âge, sont incapables de défendre la profession qu’ils
sont censés représenter.
Or, si les professeurs sont mal considérés, c’est
qu’ils sont mal payés. Le malaise des "profs", leitmotiv des médias,
c'est leur feuille de traitement, cela va mieux en le disant. Les professeurs
de ZEP ne demandent pas la charité. Ils sont las de la faiblesse de leurs
salaires, de l’absence de formation continue de qualité, et surtout de l’étroitesse
de leurs perspectives de carrière, mais ils ne sont en aucun cas des victimes et
n’ont pas besoin de compassion. Il est faux de dire, comme on le fait à chaque
fois que tombe le couperet de PISA, que la France « délaisse » ses élèves les plus faibles. C’est bien
plutôt les professeurs qui enseignent à ces élèves faibles (ZEP ou pas
d’ailleurs) qui sont délaissés par un système d’enseignement en crise, alors
qu’ils manifestent un dévouement qui tient du miracle.
Il est absolument essentiel de revaloriser
les salaires et de rendre les concours attractifs par des
perspectives de carrière valorisante. Il est urgent, crise des vocations et catastrophe du classement PISA oblige, de
remettre le professeur au centre des préoccupations, de lui offrir tout au long
de sa vie professionnelle une formation continue de très haute qualité, de lui
laisser de l’autonomie plutôt que de l’infantiliser en lui imposant un
renouvellement incessant des programmes et des réformes vouées à l’échec. Il faut
faire en sorte que les professions de l’enseignement attirent à nouveau les éléments
les plus dynamiques en s’inscrivant dans une possible stratégie de carrière –
on enseignerait dix ans, puis fort de ses compétences, on exercerait un autre
métier, ou l’inverse – Le système des classes préparatoires, qui valorise ces
compétences, doit donc servir d’exemple plutôt que de repoussoir.
Ce qui peut faire le lien entre les ZEP et
les classes préparatoires, c’est l’innovation aux deux bouts de la chaîne. Au
lieu de confondre excellence et élitisme, il faut poursuivre patiemment
l’ouverture des classes préparatoires. En effet, si le collège du V° ou celui des
banlieues déshéritées restent tous deux des lieux d’homogénéité sociale, les classes
préparatoires, qui accueillent des étudiants venus de tous horizons, sont précisément
un bastion de la méritocratie républicaine. On ne résoudra ni l'absence de
mixité sociale, ni les problèmes
de l’Université en abattant un système qui fonctionne, puisque oui, pour
paraphraser Galilée à son procès en 1633, « e pur si muove ». Il est plus
judicieux de réfléchir à ce qui pourrait rendre les collèges attractifs, par
exemple sur le modèle des charter schools
américaines, qui financées par des fonds publics, fédéraux et locaux,
développent y compris dans les quartiers les plus démunis des programmes
extrêmement innovants. C’est l’attractivité, que seule l’innovation
poussée rend possible, qui créera une mixité volontaire et non imposée, car dans
ce cas fatalement contournée.
Professeurs de tout le pays,
unissons-nous ! Unissons-nous pour rompre avec le misérabilisme, pour
faire fonctionner la belle machine du savoir. Pour faire que tous les écoliers,
à l’image de ce que les plus âgés d’entre eux connaissent en classes
préparatoires, conservent un souvenir marquant de ce que nous leur avons
appris.
Anne-Sophie Letac, professeur en CPGE & Jean-François Immarigeon, professeur en ZEP
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